Chapter I - Until we go down

T’as sorti le grand jeu, ce soir, pour faire plaisir à la petite princesse qui sort de ta voiture en riant parce que t’as encore lâché une énormité pour laquelle le karma te fera sûrement payer. Vous avez passé une bonne soirée. Cinéma en plein air puis dîner au restaurant. T’es venue la chercher dans ta Lamborghini. D’habitude, tu n’es pas du genre à te vanter de ta richesse certaine mais ce soir-là, tu t’es dit que tu pouvais la gâter un peu. Elle t’es tellement précieuse, Prudence. T’as su qu’elle le deviendrait au moment même où, trois ans plus tôt, elle t’a regardée en coin avec des larmes dans les yeux. Elle espérait sans doute que tu ne le remarques pas mais ce genre de choses ne t’échappe pas. T’as tout de suite su que d’une manière ou d’une autre, elle compterait dans ta vie. T’es garée sur le trottoir sans te soucier du quartier. Une petite voix que tu prends soin d’ignorer tente de te rappeler à l’ordre. Le quartier n’est pas sûr, surtout avec une telle voiture. Attends-moi ! tu t’exclames en verrouillant la voiture derrière toi avant de lui courir après.

Alors que tu rejoins ta belle, tu attrapes instinctivement sa main et la tires vers toi pour la ralentir. Tu passes un bras autour de sa taille et poses sur elle un regard attendri. De ta main libre, tu écartes tes cheveux ondulés de ton visage. Prudence, tu ne sais pas si tu l’aimes, c’est tu es réellement amoureuse, avec un grand A, de cet amour dont tu rêves et qui dure toute la vie. Tu n’es pas sûre de ce que tu éprouves pour elle, de manière générale, mais ce que tu sais, c’est qu’elle occupe une place très importante dans ton cœur, une place dont elle ne bougera pas quoi qu’il advienne. A ce moment-là, tu ne sais pas encore combien il sera important que tu te souviennes de ces pensées quand le karma te frappera dans le coin de la figure avec le parpaing de la réalité. A ce moment-là, tu te contentes de profiter de la soirée, de la jeune femme que tu tiens entre tes bras et de la chaleur qu’elle t’apporte. C’était une bonne soirée. Tu murmures et souris. Ce soir-là, t’as un peu trop bu. Tu n’es pas soûle pour autant, juste un peu joyeux. Juste ce qu’il faut pour pouvoir sourire.

Pendant qu’elle cherche ses clés, tu restes derrière elle en fredonnant une chanson que tu inventes sur le moment. Un soupire t’échappe et tu enroules tes bras autour de sa taille, te pressant contre son dos et nichant ton visage dans son cou. Tu m’laisses rester, ce soir ? Ta voix est douce dans son oreille. S’il te plait… Un baiser dans son cou, innocent.

Elle ouvre la porte qui ne semble pas être verrouillée et tu entres à sa suite. Tu n’as même pas le temps de t’émerveiller – ou pas – sur son appartement que vous tombez nez à nez avec un homme qui passe dans le hall à ce moment-là. T’as l’impression que ton cœur se casse la gueule dans ta poitrine. Ton expression doit également en dire long. On dirait que t’as avalé un citron entier et que l’acidité t’a figée. Pour une raison qui t’es inconnue, tu n’as jamais oublié ces yeux bleus qui te fixent intensément. C’est ça. Le voilà, le parpaing de la réalité qui s’éclate dans ta figure à la vitesse de la lumière. Maxence. T’as appris son nom car Prudence t’en parle souvent. Cet ex avec qui elle vit. C’est lui. Tu ne pensais pas qu’il t’avait autant marquée, ce type. Et clairement, ce soir, tu n’étais pas prête à gérer ça.

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C'est une bonne soirée. C'est ce que tu t'es dit quand t'as vu Hazel partir ce soir, pour rejoindre un gars qu'elle commence à fréquenter. Y paraît que c'est pas très sérieux, du moins c'est ce qu'elle en dit, mais tu la connaît et tu sais que la jeune femme ne s'est pas mise sur son 31 juste pour une histoire. Tu sais que ce garçon - ou cette fille, car les goûts de Hazel en terme d'idylle sont particulièrement ouverts - n'est pas n'importe qui. Vous n'êtes plus un couple, cela fait un moment déjà. Vous n'avez peut-être jamais réellement été ensemble au final, les fiançailles et compagnie, c'était probablement un moyen de vous donner un but dans la vie, un but pour construire votre avenir que vos propres parents voulaient. Et puis, malgré la tempête d'il y a trois ans, vous êtes restés soudés. A l'abri du regard des parents, vos liens n'ont jamais été entachés. Vous n'étiez pas fait pour être un couple, c'est tout. Hazel était une perle, mais à quoi bon sceller une union si tu ne l'aimais pas d'amour. Pas de ce genre d'amour là. Rupture douloureuse pour l'un comme pour l'autre, vous n'étiez pas décidé à vous séparer pour de bon.

C'est une bonne soirée, et ça, rien ne pourra y changer. Une bière au coin de la main, t'es affalé sur le canapé comme un vieil ivrogne qui regarde du baseball, à la seule différence que tu n'es pas en train de regarder la télévision. C'est la musique qui anime l'appartement et tes yeux flottent à travers les différentes images qui défilent sur ton pc portable. Les heures passent, doucement, la pizza poulet ananas commandée est particulièrement bonne et tout semble se passer comme tu le voulais. Sacrilège. Tu l'entends déjà crier lorsqu'elle va rentrer - si jamais elle rentre ce soir ? - et t'incendier gentiment sur la folie de prendre une pizza de la sorte.

C'est une bonne soirée et voilà qu'au bout de quelques heures, quelques échanges avec des amis sur les réseaux, quelques bières et quelques tranches de pizza, tu te lèves pour aller chercher une quatrième bouteille. Ce soir, c'est prévu d'être chill à la maison. Tu rangeras demain. Tu lèves tes fesses du canapé, ajuste cette casquette que tu ne quitte plus depuis que tu l'as retrouvé dans un carton. Tu traverses la salle, pour cette boisson, sans faire attention au bruit des clés sur la porte. Ta porte s'ouvre, votre porte. Tu l'entends glousser, ta petite gazelle, et comme un piquet tu te plantes pour l'accueillir. Les accueillir. T'es pas jaloux, juste un peu surpris. T'as l'air de rien à côté d'elle, d'eux. Sans crier garde, Hazel se jette sur toi comme à son habitude. Tyler ! Elle te vole un baiser, tu peux sentir l'alcool, mais tu gardes le silence pour ne pas froisser l'ambiance. Hey, cutiepie. Dis-tu à bout de souffle avant de lever les yeux vers l'inconnu, un peu gêné par la situation. Vous êtes encore très tactile même s'il n'y a rien entre vous... Mais cela a le don de mettre ce type mal à l'aise. Pris sur le vif, tu essuies grossièrement ta main sur le côté de t-shirt, afin d'essuyer le peu de graisse inexistante pour tendre la main à ce gars qui semble débarquer sur mars. Ton sourire se veut rassurant, mais tu reste troublé par ce visage car tu as une impression de déjà vu. Salut, bienvenu à la maison. Je suis Tyler. T'es poli, courtois, t'as l'impression de passer pour un genre de couple libertin... Mais tu tends quand même ta main à l'attention de ce type qui n'a apparemment qu'une envie - fuir loin d'ici.

Sérieusement .... TYLER ! Tu n'avais pas vu Hazel s'engouffrer dans l'appartement, l'écho de sa voix trahi sa trouvaille : la pizza à l'ananas. T'étais tellement occupé à dévisager ce visage familier que t'as oublier de cacher ton pêcher mignon. Tu grimaces, comme un enfant pris sur le fait accompli, laissant échapper un juron. Et. Merde. Tu te rapproches du garçon pour fermer la porte derrière lui, par politesse toujours, sans te douter que cet endroit serait pour lui comme l'enfer sur terre... Si j'avais su que vous rentriez si tôt, j'aurais planqué la pizza à l'ananas. Désolé. Confies-tu discrètement à ton prisonnier de fortune.

T’es tellement choquée que t’en oublies complètement de le saluer. C’est le cadet de tes soucis. Ton cœur s’affole sans ton approbation. Que fait-il là ? Pourquoi ici ? Pourquoi toi ? Qu’as-tu tant fait de mal pour que le karma te rattrape des années plus tard et te frappe aussi fort ? T’as l’estomac qui fait des bonds. T’as envie de tourner les talons et partir en courant, loin d’ici, loin de lui. Du coin de l’œil, tu vois Prudence qui t’abandonne. Tout fait enfin sens dans ta tête. Quand tu l’as trouvée si défaite, ce matin-là, alors que tu tentais d’échapper à ton coup d’un soir en te vautrant lamentablement sur elle, c’était pour lui qu’elle avait pleuré. C’était avec lui qu’elle s’était disputée. Et c’était avec lui que t’avais passé la nuit. Qu’est-ce que ça fait de toi ? Rien qu’une pauvre nana sans âme qui ne cherche même pas à savoir si le gars dans son lit est pris ou libre. Une pauvre nana qui en plus de tout fréquente son ex. Ton cœur rate un battement. Et s’ils s’étaient séparés par ta faute ? Et s’il lui avait tout dit sans pour autant révéler ton identité ? Ta poitrine se serre mais tu fais de ton mieux pour avoir l’air normal même si tu t’es figée en le voyant. Tu restes comme une conne plantée dans le hall, bras ballants car ta belle t’a échappée, te sentant aussi sobre que si l’alcool s’était réellement évaporé de ton sang.

Quand il te parle, tout ton corps se tend. Il a une voix douce et suave, si chaude et enivrante, et tu te demandes un instant pourquoi ce sont les seuls mots qui te viennent pour la qualifier. Tu clignes des yeux sans bouger mais finis par tendre une main vers lui. T’as pas l’impression d’avoir assez de force pour lui serrer la main alors tu refermes juste les doigts sur celle-ci. Shea… Shea Rivers. Enchantée. Ces trois mots articulés te brûlent la gorge. T’as un volcan qui gronde à l’intérieur de ton ventre. Toi qui d’ordinaire es capable d’énoncer ton nom – qui est également ton nom de scène – avec une assurance qui ne va pas avec ton jeune âge, tu te sens comme la petite nouvelle qui doit se présenter devant sa classe entière. Ce n’est que la voix retentissante de Prudence qui te fait sursauter et te ramène à toi-même. Pourtant, ce n’est pas toi qu’elle appelle mais savoir qu’elle est encore présente te rassure. Tu retires ta main rapidement et fais un pas de côté pour le laisser fermer la porte, te tournant en même temps pour lui faire face. Un sourire s’esquisse enfin sur tes lèvres quand il agit comme s’il te mettait dans la confidence d’un secret d’état. Tout ça pour une pizza à l’ananas. Tu lui accordes un regard complice puis rejoint Prudence dans le salon.

Un bras s’enroule autour de ses épaules. Tu la berces, joueuse et la presses contre ton torse. T’es insortable, mh. Tu la taquines et t’empares d’un morceau de la pizza qui n’est ni à toi ni à elle. Mais ça tombait bien, t’as faim et l’ananas sur une pizza ne te dégoûte pas. Lui jetant un regard en coin bien appuyé, t’en avales une grande bouchée, absolument sûre que tu vas te prendre le retour du bâton. Une fois ta bouchée avalée, tu lâches un rire et te penches pour lui coller un baiser au coin des lèvres, ignorant de potentielles protestations. Tu peux revenir, Maxence ! Elle pourrait pas tuer deux personnes d’un coup ! tu ricanes mais t’écartes quand même d’elle par précaution. Dans ta précipitation, tu te cognes contre Maxence qui arrivait à ce moment-là et es obligée de t’agripper à lui pour ne pas te casser la figure sur le parquet. Tu t’accroches à ses bras, déjà à moitié basculée contre lui. Un rire nerveux t’échappe, incontrôlable. Pa-pardon. Je… Excuse-moi. Tes joues sont rouges mais impossible de savoir si c’est à cause de l’alcool ou de ce contact inattendu qui remue jusqu’au plus profond de tes entrailles. Encore une fois, tu mets ça sur le compte du malaise. Revoir un coup d’un soir n’est jamais spécialement agréable. Tu souffles, histoire de t’en convaincre, et te retournes vers Prudence, ton regard en quête de soutien.

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C'était le deal. Le foutu deal qu'il n'avait pas été capable de respecter. Une pizza à l'ananas,... Bitch, really ?! T'as même pas cherché à présenter Ty' Shea, pour la simple et bonne raison qu'à force de parler de l'un à l'autre, c'est comme s'ils s'étaient déjà vu. Si seulement tu savais, jamais, Ô grand jamais t'aurais laissé Shea tout seul avec Tyler, même devant ce pas de porte. T'as pas vu le regard suspicieux de Max lorsqu'ils se sont présentés, trop attentive à la gueule de la pizza devant toi - pizza que tu goûte à l'abri des regards, comme une petite coquine. Alors que ton doigt coupable est dans ta bouche, léchant la graisse à l’abri des regards indiscrets. Lorsque la porte se referme, tes mains se sont déjà accaparée du téléphone de ton ex fiancé pour regarder de manière anodine ce qu'il pouvait faire.

Tu lèves les yeux et gratifie d'un sourire Shea qui vient te rejoindre, ne manquant pas de froncer les sourcils à sa réflexion. Whose side are you on exactly ? Tes yeux en disent long, il en faudra plus pour t'attendrir, surtout en ce qui concerne ton ex fiancé. Soit. Qu'ils se liguent tous les deux contre toi! Ce n'est que partie remise ! Si c'était que pour une pizza à l'ananas.... Un soupire exaspéré presque trop vrai au vu de la situation, alors que les lèvres de Shea viennent te voler un baiser. Tu plaisantes, c'est sûr, mais tu ne te doutes pas de l'impact de tes mots. Tu sens Tyler tressaillir derrière, comme s'il avait quelque chose à se reprocher. Bah quoi ? C'est vrai non ? Ne viens pas dire à Shéa que t'es blanc comme neige. Un rictus se place sur tes lèvres, prétendant connaître les secrets inavouable de ton ex fiancé. Il est déjà en train de revenir que tu le gratifie d'un regard hautain propre à toi-même, la reine des glaces. Reviens, oui. Ananas boy. Tu as beau ne pas rire, la situation t 'amuse beaucoup plus qu'on ne peut l'imaginer.

Great. Un confrère d'ana- le voilà coupé, alors qu'il revenait. Shea s'écroule presque sur ton colocataire. Cette fois, t'es incapable de retenir ton rire, surtout quand tu vois la tête de ton invité. Wooow !Doucement, doucement, si tu lui tombes dans les bras il te laissera jamais partir ! Tyler lève les yeux au ciel, tu peux pas comprendre ces deux visages gênés. Tu peux pas voir que Max a resserré ses mains pour le retenir, même quelques secondes, comme s'il voulait s'assurer qu'il connaissait ce corps. T'es pas dans la confidence, tu sais pas. Pas de problème, c'est vrai que... Il marque une pause, cet ex fiancé, ce traître, ta moitié. Il marque une pause, dévisageant étrangement Shea. Quand t'ouvres la bouche pour lui demande ce qu'il se passe, c'est comme s'il savait que ça devenait bizarre pour toi, alors, tandis que Shea te rejoint, il lâche sa foutue bombe. C'est vrai qu'Hazel fait cet effet là parfois. Elle est terrifiante... Il s'éloigne, sachant pertinemment que la tranche de pizza que t'as dans les mains, que tu viens de saisir comme par magie, c'est pour lui jeter à la figure. L'insolent petit être.

Tu claque ta langue contre tes dents, puis, croque brutalement dans la part que tu reposes aussitôt dans le carton avant de agripper au bras de l'homme qui t'accompagnait pour la soirée. Il fait genre ... Mais la vérité est toute autre. Ils ne l'avaient pas vu venir, ces deux énergumènes. En lâchant ta pizza, t'avais attrapé le téléphone de Tyler pour attraper la première photo de sa galerie - une chance qu'il était en train d'alimenter son instagram.

Il ne faut que quelques secondes à Hazel pour montrer à son complice le sombre secret de son ex fiancé - et il est trop tard pour ce dernier d'empêcher la grande révélation....

Du soutien, t’en trouves moyennement dans les yeux de ta belle mais tu la reconnais bien, là. Joueuse, taquine, moqueuse mais pourtant totalement sincère. Tu n’as pas manqué d’entendre les petites remarques lancées à l’attention de Maxence, avant que tu lui tombes dans les bras mais tu n’oses rien dire. Effectivement, Maxence n’est pas blanc comme neige, tu le sais bien. Un peu trop bien, à vrai dire. Que Prudence soit au courant de quoi que ce soit ou pas, tu sais bien que t’as une part dans leur séparation et que, même si ça a commencé avant toi, t’as été l’allumette balancée dans l’huile déjà bouillante.

De même, tu n’as pas manqué de sentir les mains du jeune homme se resserrer brièvement, avec une douceur infinie, autour de ta taille, comme s’il voulait non pas s’assurer que tu ne tombes pas mais qu’il a déjà senti ton corps entre ses mains. Ce geste infime accentue le rouge sur tes joues. À cet instant précis de ton existence, t’as jamais été aussi heureuse d’être soûle, comme si ça pouvait te sauver. Comme si l’astéroïde du karma qui te fonçait droit dessus allait être dévié pour la simple raison que tu es trop bourrée pour que tes actes et ton comportement passent inaperçus aux yeux de Prudence qui doit déjà vous trouver bizarres, tous les deux. Alors oui, Maxence a raison sur un point : Prudence te fait un peu peur parfois, mais tu peux pas t’empêcher de rester près d’elle, comme la Lune autour de la Terre, t’es un petit satellite qui veut veiller sur elle et la stabiliser, peu importe la véritable nature de votre relation. C’est vrai qu’elle fait peur. Alors qu’elle n’allait certainement pas te viser, tu fais quand même un pas de côté pour éviter d’être atteinte par une potentielle part de pizza volante avec ses foutues rondelles d’ananas. Arborant un sourire innocent, tu la serres fort contre toi dès le moment où tu la sens s’agripper à ton bras, et tu lèves les yeux vers Maxence. Lorsque vos regards se croisent, c’est comme si t’essayais de lui dire quelque chose. Tais-toi. Sois pas si obvious. Tu m’as pas reconnue, hein ?! Au final, même toi, tu ne sais pas trop quel message tu tentes de lui faire parvenir. Tu te contentes de le fixer obstinément, sans ciller, tandis que Prudence s’extirpe de tes bras et semble fouiner sur son téléphone. Ce n’est que quand tu surprends un vif mouvement venant de ton côté que tu baisses les yeux vers ce que te montre la petite blonde.

Un instant, tu restes interdite à la vue de la photo. Un avant-après improbable que tu ne t’attendais pas à voir sur ce gars. Ce gars, avec sa casquette vissée sur sa tête, sa petite moustache et ses habits rien de plus normaux. Et là, voilà que la coquine te montre deux photos. À gauche, son air habituel, un peu renfrogné avec un bandeau dans les cheveux — qui porte encore ce genre de trucs ? — et des écouteurs dans les oreilles. Et à droite un remix rose bonbon de Hatsune Miku avec un casque aux oreilles de chat sur la tête et un maquillage digne d’une peinture. Un peu comme toi, quoi. Beaucoup trop comme toi. Tu lèves les yeux vers Maxence, à nouveau mais cette fois, tu l’interroges du regard. Seriously, dude? Sans un mot, tu prends le téléphone des mains de Prudence. Petit à petit, tu te rends à l’évidence. Il ne fait pas ça que pour s’amuser chez lui — ou en l’occurence chez eux. Il fait bel et bien ça pour gagner sa vie.

Mais euh… Pas très perspicace.

Tu prends quelques secondes pour analyser ce que tu viens de voir. Ce gars avec qui tu as passé une nuit, il y a trois ans de cela, et qui te semblait tout à fait lambda à l’époque, s’est mis au drag. Car oui, tu le vois. C’est bien du drag, pas du cosplay tout simple. Wow, c’est… impressionnant. Tu jettes un oeil à la fois craintif et amusé à Prudence. Désolée, mais pour le coup, je ne peux pas me ranger de ton côté. Puis d’observer Maxence qui doit se sentir légèrement jugé. C’est beau, ce que tu fais, Maxence. Tu ne peux pas vraiment lui dire que tu fais la même chose car Prudence ne sait pas. Tu ne sais pas vraiment comment elle réagirait si elle apprenait que tu fais du drag, que presque tous les soirs, tu resserres ton corset jusqu’à faire moins de cinquante centimètres de tour de taille et que tu te maquilles comme une femme et porte des talons hauts. J’vois pas où est le problème. Tu ricanes à l’attention de Prudence et quand tu tournes la tête vers elle, tu sens le sol se dérober sous tes pieds mais tu ne bronches pas et fais l’air de rien. Te détournant d’eux, tu te diriges vers le canapé. T’as toujours le téléphone dans la main et une fois assise, tu commences à parcourir le reste de son profil. Il fait clairement ça depuis un petit moment déjà. Tu continues à descendre dans sa galerie de photos. Tu ne te rends pas compte que plus tu descends, plus tu te rapproches de l’époque fatidique. L’époque où t’as à la fois fait ta plus grosse connerie mais aussi ta plus belle rencontre.

Tu scrolles presque machinalement pendant que les deux oiseaux se chamaillent mais soudain, une photo te frappe. Un flashback dans la figure. Une photo que tu ne te rappelais même pas avoir prise à l’époque. Il y a trois ans. T’es là, dans toute ta splendeur, maquillage parfait, corset ajusté, tenue glamour. Ta main est posée, telle une plume, sur son épaule tandis qu’il se tient à tes côtés, petit sourire au coin des lèvres. T’arrives à te souvenir qu’il avait passé un bras autour de ta taille de guêpe, à présent. Paniquée, tu lèves le regard vers lui. Prudence ne te voit pas faire. Et si elle avait vue cette photo ? Et si, malgré cette couche ahurissante de maquillage, elle finissait finalement par faire le rapprochement ? Tu serais perdue. Perdue. Tu serais à la fois une menteuse, une mauvaise amie et une briseuse de couple. Mais tu ne pourrais pas te permettre de perdre Prudence pour un coup d’un soir qui s’avère être son ex-fiancé. À la hâte, tu fermes l’application de sorte à ce que, si elle la rouvre, elle tombe sur la page d’accueil d’Instagram et pas cette photo de malheur, verrouilles le téléphone, le balances sur le canapé et, comme montée sur ressort, te relèves pour retourner vers Prudence. Ton havre de paix.

Et alors, c’est à ton tour de lâcher une bombe. C’est quoi cette histoire d’être blanc comme neige, alors ? Une putain de bombe nucléaire.

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C'est le genre de situation que t'aimes pas. Le genre de situation burlesque et complètement improbable. T'as cru, espéré un instant que ce serait pas lui. Même si ça fait un moment que tu l'as pas vu et que vous n'avez partagé qu'une nuit ensemble, ses courbes sont encrées dans la paume de tes mains. Tu voudrais poser des questions, comprendre depuis quand ces deux là se fréquentent, et puis au final même si t'ouvres la bouche pour poser une question, Prudence te prend de court et montre l'une de tes multiples facettes. Blanc comme neige. Parfois t'as envie de lui couper l'herbe sous le pieds parce que ce genre de comportement t'agace, mais au final tu te ravises. Parce que ça n'en vaut pas la peine, et qu'elle a toujours été ainsi. Peut-être que poser des questions ravivera des blessures et des histoires. Compte tenu de la tête de Shea, tu dois clairement tenir ta langue. Mais pourquoi ? Prudence est une grande fille. Elle s'en remettra. Ses compliments te touchent, mais tu détournes la tête tandis qu'il s'est emparé du téléphone pour regarder tes différents looks. Tu t'avances vers la cuisine pour te servir une bière, puis lorsque tu t’apprêtes à retourner dans la salle, cette douce jalousie vient te piquer à vif. Et si elle savait au final ? Fréquentait-elle Shea dans le but de te rendre la pareil ? Malgré le sourire tendre que tu lance à ton ex fiancée, la voir posée sur son épaule d'une manière si attendrie et innocente te ronge de l'intérieur.

Tu marques une pause, ignorant complètement la question de Shea. Il fait probablement semblant de ne pas savoir. Elle lui a probablement tout dit. Tes yeux se plongent dans ceux de ton ex et colocataire tandis que tu décapsule ta bouteille avec les dents, faisant gronder la demoiselle.

Je ne savais pas que vous vous fréquentiez.

Ça sous entendrait presque que tu le connais, et c'est presque le cas. Jusqu'où sont-ils allés tous les deux ? Et puis, pourquoi es-tu soudainement si remonté ? Ce contact t'a rappelé des souvenirs que tu chérissais, une idylle impossible et onirique. Mais la donne change. Sans même t'en rendre compte, t'as placé Prudence en rivale. D'ailleurs, elle ricane, s'accrochant un peu plus à son bras comme elle le fait avec toi quand elle veut quelque chose. Quoi, tu es jaloux ? Depuis le temps que je t'en parle, je pensais que c'était clair. Elle sourit, avec ce sourire qui la caractérise tant, tantôt mauvais, tantôt amical. Ce sourire qui présage qu'elle aura le dernier mot. Alors tu esquisses un sourire. Un simple sourire qui capitule. Ce n'est ni le moment, ni l'endroit. Mais, t'as bien envie de la jouer bitchy pour le coup. Tu t'avances vers le canapé, pose ton derrière sur l'accoudoir non loin des deux autres protagonistes. Et pour répondre à ta question. Un silence, puis tes yeux se plongent dans ceux de Shea. Il semblerait que je sois un mauvais fiancé. Dis-tu en haussant les épaules avant de porter le goulot à ta bouche et boire une longue gorgée. Tu l'entends, la jeune fille, siffler entre ses dents. Cette réponse ne lui plait pas, elle persifle comme un chat. Cette comparaison t'arrache un nouveau sourire tandis que tu la titilles, cherchant à la taquiner. C'est toi qui t'envoie en l'air avec une strip-teaseuse ! Heureusement que Shéa était là le lendemain matin pour me réconforter ! Elle tente de te faire culpabiliser, comme elle aime le faire, surtout à ce sujet. Ton sourire s'élargit de plus belle cela-dit. Heureusement mh ? Et de ta main libre, tu viens tapoter l'épaule du-dit concerné, comme le ferait n'importe quel bro. Dans ce cas là je devrais te remercier d'être entré dans nos vies ? Bienvenue alors, Shéa. Et levant la bouteille, tu finis celle-ci d'une traite en son "honneur", appuyant volontairement sur son prénom à la manière dont Prudence le prononçait.

Plus la soirée avance, plus ton coeur se serre. T’as pas signé pour ça mais tu ne penses pas non plus avoir été aussi horrible pour que le karma s’acharne autant sur toi. T’es assise comme un poteau entre Prudence qui est appuyée sur ton épaule et Maxence qui, après avoir pris sa bière, est venu s’assoir sur l’accoudoir de l’autre côté. Tandis que tu les entends vaguement se disputer, une idée est en train de germer dans ton esprit. Et si elle s’intéressait à toi uniquement pour se venger de son ex ? Et si tout n’était qu’artifice et illusion ? Ton regard oscille entre Prudence et Maxence, complètement perdu. Tu ne sais plus quoi leur dire ni quoi faire. C’est Prudence qui s’exclame que son ex s’est envoyé en l’air avec une strip teaseuse qui te donne le hoquet. Tu te tournes vers elle, sourcils froncés, avec le regard outré. Comment ose-t-elle te traiter de strip teaseuse ? En soi, tu en es une, en quelque sorte, mais c’est le ton qu’elle a employé qui te rebiffe. Une strip teaseuse !? Tu n’as pas pu t’en empêcher. Les mots sont sortis tous seuls de ta bouche et ce n’est qu’une fois dehors que tu t’en rends compte. Tes yeux s’écarquillent brièvement et dérivent. Tu ne regardes plus ni Prudence ni Maxence, consciente d’avoir fait une bourde par ces simples mots. Pinçant les lèvres, il te faut quelques instants avant de reprendre tes esprits. Shea. C’est Shea. Tu sais très bien que ça m’énerve. Non, tu n’as rien trouvé d’autre à dire car si tu avais suivi ta pensée, tu lui aurais dit que le métier de strip teaseuse était un métier comme les autres et tu te serais probablement fait éjecter de la maison aussi rapidement que l’éclair. Alors, croisant les doigts pour que personne ne relève ce que tu viens de dire, tu te fais toute petite entre les deux vieux du Muppets qui, semblerait-il, n’ont pas fini de se chamailler.

Le ton qu’emploie Maxence pour te parler hérisse les poils de tes bras et tu lui jettes en regard noir, l’air de lui dire de ne pas en rajouter. Un soupire t’échappe tandis que, le quittant enfin des yeux quand le goulot de la bière quitte ses lèvres — pourquoi tu te concentres là-dessus, tu n’en sais rien —, tu te frottes les tempes. Une soudaine vague de rébellion t’inonde. Tu ne comprends pas pourquoi il te fait ça alors que tu n’es pour rien dans toute cette histoire. À l’époque, tu ne savais pas qu’il avait une copine, et quand tu as commencé à fréquenter Prudence, tu n’as jamais été suffisamment curieuse pour lui demander de voir la tête de son ex. C’est un coup du destin. Ce putain de karma. Arrêtez d’écorcher mon prénom, vous me rendez dingue. Et je vais vous laisser finir de vous arracher les yeux de votre côté. J’en ai marre. Tu te lèves sans hésitation, dégageant le coude que Prudence avait appuyé sur toi et les dévisages de toute ta grande taille. C’est peut-être l’alcool qui agit à ta place à ce moment-là, car tu ne trouves pas leurs chamailleries très drôles et les fusilles du regard.

Puis, tu tends un doigt vers Maxence. Toi. Un mot. Avec un peu de chance, Prudence avait suffisamment bu pour ne se souvenir de rien le lendemain. Tu te détournes et retournes vers le hall d’entrée où tu attends le jeune homme, bras croisés. Ton coeur bat la chamade et l’angoisse t’étreint. Quand enfin il te rejoint, t’es incapable de rester fâchée. Ne lui dis rien, s’il te plait. Elle n’est au courant de rien. Et je ne savais pas que c’était toi son ex. Si j’avais su, je… Un soupire t’échappe. Tu ne sais même pas comment continuer ta phrase. Tu ne serais probablement pas venue. Tu ne te serais pas attachée à Prudence. Je lui dirais en temps voulu. Un jour, peut-être, probablement jamais d’ailleurs.

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